Relocalisation industrielle au Québec : un mirage ou une opportunité stratégique ?

par Louis Grenier, Partenaire principal chez LGP
Un travailleur manipule une boîte en carton issue d’un conteneur maritime dans un entrepôt, illustrant la relocalisation industrielle et le retour de certaines productions au Québec.

Il serait presque comique, si ce n’était pas aussi inquiétant, d’observer les revirements incessants de la pensée de l’agent orange. À l’heure où certains rêvent d’une relocalisation industrielle au Québec comme solution à tous nos maux économiques, il est fascinant de voir comment l’exemple trumpien incarne une pensée simpliste à l’extrême. De nombreux analystes tentent encore de comprendre sur quelle planète vit ce parangon du narcissisme débridé.

Permettez-moi d’ajouter ma propre lecture. Il n’y a rien à comprendre, sinon l’illustration la plus pure de ce qu’on appelle la pensée linéaire. « Toute chose ressemble à un clou, pour celui qui ne possède qu’un marteau », écrivait Abraham Maslow. Dans le cas de M. Trump, le marteau prend carrément la forme d’une masse !

Cette forme de raisonnement tend à réduire des enjeux complexes à des équations simplistes, pour mieux imposer des solutions brutes et inadaptées. Dans le cas de l’économie américaine, la doctrine trumpienne a tranché : les tarifs douaniers sont censés être la panacée. C’est un peu comme déclarer que l’aspirine résoudra tous les problèmes de santé. Et tant qu’à faire, autant administrer la dose maximale, quitte à achever le patient sous prétexte de le sauver. Voilà ce qu’on obtient quand on confond gouvernance et coups de masse.

J’ai passé ma carrière à concevoir des plans durables pour soutenir la vitalité économique des territoires. Pour moi, une vraie planification repose sur trois fondements : une vision claire, une stratégie cohérente, et des tactiques adaptées à leur environnement. C’est à cette seule condition qu’on peut espérer une réponse intelligente aux défis économiques, y compris ceux liés à la relocalisation industrielle.

La relocalisation industrielle est une vision économique à considérer

En matière d’économie, sans me réclamer des idéologies de droite, je reconnais partager certaines intuitions de Trump, à condition de les adapter intelligemment à notre réalité québécoise ou canadienne. La pandémie a été un électrochoc. Elle a mis en lumière la nécessité de revoir notre dépendance envers les chaînes d’approvisionnement mondiales, surtout dans l’industrie manufacturière. Dans ce contexte, la relocalisation industrielle au Québec apparaît comme une piste sérieuse, bien plus qu’un simple réflexe protectionniste.

Cette crise a révélé à quel point nous étions vulnérables. Certains secteurs stratégiques comme l’agroalimentaire, la pharmaceutique ou l’électronique se sont retrouvés exposés à des menaces de la part d’acteurs politiques peu fiables. Par souci de rentabilité immédiate, les économies occidentales ont laissé des pays émergents prendre le contrôle de maillons essentiels. Je parle ici d’expérience : étant diabétique, je n’apprécie pas particulièrement que les médicaments qui me maintiennent en vie soient produits en Chine ou en Inde. En cas de conflit commercial, rien ne garantit leur disponibilité.

L’autonomie alimentaire et la souveraineté technologique ne sont plus des options, mais des nécessités. Ces domaines devraient bénéficier de la même vigilance que celle qu’on accorde aux produits militaires. Relocaliser oui, mais de façon ciblée et stratégique.

C’est pourquoi il est absurde de rapatrier indistinctement la fabrication de missiles et celle de jouets en plastique, au risque de froisser nos alliés pour des emplois à très faible valeur ajoutée. Qui souhaite vraiment voir une usine de stylos ouvrir au Québec pour offrir des salaires de 5 $ de l’heure ?

Relocalisation industrielle : une vision sans stratégie

Autant je peux adhérer à l’idée d’une relocalisation industrielle au Québec dans certains secteurs stratégiques, autant la stratégie de mise en œuvre proposée par l’administration Trump me laisse perplexe… à condition, bien sûr, qu’on puisse réellement parler de stratégie. Pour moi, il n’y en a tout simplement pas. Les actions prises relèvent davantage de la réaction impulsive que d’un plan réfléchi.

Ce qui se dessine, c’est une approche brutale, sans ligne directrice, une sorte de politique de la terre brûlée. L’idée semble être la suivante : frapper fort, partout, tout le temps. On utilise une masse, là où un scalpel aurait suffi. Trump passe de la vision à l’action en ignorant totalement l’étape cruciale de la planification stratégique. Résultat : une tentative d’enfoncer une épingle avec un marteau de forgeron.

Et pourtant, une telle tactique, si elle se maintient, provoquera inévitablement un bouleversement des flux logistiques et des chaînes de valeur mondiales. Pour le Québec, cette reconfiguration pourrait représenter une série d’opportunités importantes, à condition de savoir s’y préparer.

Adapter la stratégie québécoise à une relocalisation industrielle ciblée

Il ne s’agit pas simplement de diversifier nos marchés d’exportation. Bien que cette avenue reste pertinente, notre proximité géographique nous condamne à conserver des liens étroits avec le marché américain. Si nous parvenions à réduire notre dépendance commerciale envers les États-Unis de 75 % à 60 %, ce serait déjà une avancée majeure. Reste qu’une dépendance de 60 %, cela demeure élevé.

Face à un partenaire américain de moins en moins fiable, il faut revoir notre approche. Ce marché ne nous est plus automatiquement acquis, il faudra désormais y accéder à un coût : probablement autour de 10 % de droits d’entrée à terme, peu importe le locataire de la Maison-Blanche. Dans ce contexte, le Québec doit jouer ses meilleures cartes : l’eau, l’énergie, les terres rares. Ce sont nos leviers les plus puissants pour protéger nos intérêts dans des négociations qui nous échappent souvent, car pilotées depuis Ottawa.

Notre stratégie manufacturière, elle, doit reposer sur des produits hautement spécialisés, à forte valeur ajoutée. Et sur ce point, nous avons une longueur d’avance. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’industrie manufacturière québécoise s’en tire mieux que celle des États-Unis si l’on se fie à sa part dans le PIB. En décembre 2024, le secteur manufacturier américain pesait moins de 10 % du PIB, alors qu’au Québec, il atteignait encore 12,5 %, malgré une légère baisse.

PME, productivité et relocalisation industrielle : une résilience à cultiver

Depuis les années 1980, les emplois manufacturiers ont reculé, passant d’un sommet de 885 000 en 1984 à environ 445 000 en 2023. Mais ce chiffre est en hausse ces dernières années, preuve que le secteur connaît un certain renouveau. Ces emplois sont d’ailleurs plus stables qu’avant, et moins concentrés dans des segments vulnérables de l’économie.

Notre productivité reste inférieure aux moyennes canadienne et américaine, mais notre tissu dense de PME manufacturières constitue une véritable force. Elles sont flexibles, adaptables et capables de naviguer à travers les turbulences. Dans ce contexte, des barrières tarifaires de 10 % ou même 15 % sont supportables, si les entreprises visent des segments de marché haut de gamme.

Prenons l’exemple de Bombardier. Depuis que l’entreprise s’est recentrée sur les jets d’affaires, elle résiste beaucoup mieux aux variations de la demande. Ce modèle est reproductible : toute PME manufacturière qui choisit de cibler des créneaux spécialisés peut tirer profit de cette dynamique.

Il ne s’agit pas de tourner le dos au marché américain, mais d’y revenir armés d’une vraie stratégie, là où justement, l’administration américaine agit sans plan. Transformer une contrainte en opportunité, c’est tout l’enjeu.

Et le jour viendra où les États-Unis devront admettre que la relocalisation massive de leur production est un mythe. À ce moment-là, les marchés de niche que nous aurons su protéger auront une valeur stratégique énorme, surtout si nous misons sur des secteurs comme l’agroalimentaire, le pharmaceutique ou l’électronique.

Adapter nos parcs industriels

Ce virage appelle aussi un changement de perspective au niveau local. Il faudra revoir l’aménagement de nos parcs industriels pour les adapter à cette nouvelle réalité. Des terrains plus compacts, une occupation au sol optimisée autour de 40 à 50 %, et une offre locative mieux adaptée aux besoins des PME. Bref, une approche plus agile, tournée vers l’avenir.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.

Contacter Anaïs

Calendrier des activités
[eo_fullcalendar headerLeft='prev,next today' headerCenter='title' headerRight='month,agendaWeek']

Politique en regard de la présence aux activités de formation

  • Attendu que l’APDEQ remet une attestation de participation au terme de chacun des cours qu’elle diffuse;
  • Attendu que cette attestation confirme la participation à un nombre d’heures de formation spécifique;
  • Attendu que la présence du participant est attendue et obligatoire pour toute la durée de la formation (activité synchrone);
  • Attendu qu’aucun visionnement de l’activité en différé ne sera autorisé;
  • Attendu que chaque formation procure un nombre de points en vue de l’obtention de la certification au titre de Développeur Économique;

Une attestation de participation sera décernée au participant, dans la mesure où le taux d’absentéisme n’excède pas 20 % des heures prévues à la formation.