En matière de sélection de sites industriels, les critères locaux augmentent leur importance

Je regarde fréquemment le sondage annuel de la classification des critères de localisation de la revue Area Development. Bien que les répondants soient exclusivement américains, cela donne une indication de l’évolution des préoccupations des décideurs quand vient le temps d’évaluer un site par rapport à un autre.

Je me suis amusé aussi à classifier les critères en critères locaux (c’est-à-dire les critères dont la qualité dépend en tout ou en partie des décideurs municipaux ou des décideurs au niveau de la MRC) et en critères régionaux, critères dont les décideurs œuvrent majoritairement ou principalement à l’échelle d’une province au Canada ou d’un état aux États-Unis. Je me suis gardé une troisième catégorie pour regrouper les critères dont les décisions dépendent de plusieurs intervenants ou qui carrément ne pouvaient se retrouver dans les deux autres catégories. Cette nomenclature est bien personnelle, mais elle me permet de voir jusqu’à quel point les gestionnaires locaux que nous sommes exercent une véritable influence sur les décisions de localisation des entreprises industrielles.

Or, nouvelle intéressante, depuis la pandémie – décidément, cette pandémie sert de plus en plus de référence temporelle : il y avait « avant » et il y un « après » – les critères locaux ont pris une importance de plus en plus visible.

Le sondage de 2025 (voir annexe au présent texte) montre que les 5 premiers critères de sélection de sites sont désormais des critères locaux. Par exemple, la disponibilité de terrains (en 2^e position) est désormais un critère choisi par 100% des répondants alors que seulement 62,5% de ceux-ci le choisissaient en 2021. La disponibilité de l’énergie, la disponibilité de bâtiments ou celle de l’eau sont tous des critères dont la position relative a augmenté dans les préoccupations des décideurs. L’impôt foncier en 8^e place a été choisi par 95,2% des décideurs en 2025; ce critère n’existait pas dans la nomenclature du magazine Area Development avant cette date. L’augmentation des coûts locaux, surtout alimentée par l’impôt foncier justement, explique ce revirement. La refonte fiscale locale est majeure aux États-Unis à ce chapitre – beaucoup plus qu’ici – mais ce résultat montre la volatilité des critères de sélection, alors que les conditions peuvent changer rapidement d’une année sur l’autre.

On note aussi qu’un critère subjectif appelé « réaction positive des gouvernements locaux » a été ajouté en 2023 et ce critère augmente en popularité auprès des décideurs. C’est dire comment l’accueil, la résilience du milieu et l’écoute active sont devenus des critères incontournables, même s’ils sont très subjectifs.

J’aime aussi constater comment les critères d’interrelation, comme la proximité des fournisseurs (5e place), gagnent en importance. Or, nous connaissons mal notre tissu industriel local : un effort pour bien publiciser la gamme des biens et services industriels ou commerciaux disponibles localement prend donc une importance vitale quand vient le temps de convaincre une entreprise de s’établir dans notre patelin.

Le graphique suivant illustre bien l’évolution du poids relatif des critères locaux et régionaux dans le processus décisionnel des décideurs. Le poids des critères est mesuré par rapport à la moyenne de l’ensemble des critères. Ainsi, en 2025, la moyenne des critères locaux représentait 1,23 fois la moyenne de l’ensemble des critères, en hausse par rapport à 2021 (0,90). La moyenne des critères régionaux était en diminution (0,98 fois la moyenne de l’ensemble des critères en 2025, par rapport à 1,14 fois en 2021). Cela montre que les critères locaux « pèsent » de plus en plus dans le processus décisionnel de la localisation industrielle.

Source : Area Development (2021-2025). Le choix de la classification des critères, les manipulations statistiques et la traduction en français sont de nous.

Cette tendance sur 5 ans semble bien installée et exige donc une attention plus soutenue pour améliorer l’excellence de nos outils locaux d’attraction et de rétention. C’est une bonne nouvelle dans la mesure où on peut agir localement pour attirer de nouvelles installations industrielles, mais également pour retenir et faire grandir la base industrielle présente. Ce dernier point n’est pas à négliger, les entreprises locales font aussi une analyse des conditions présentes pour décider si leur croissance se fera chez eux ou ailleurs.

À une époque où les perturbations nationales ou internationales (tarifs, guerres, climat, refonte des routes logistiques, etc.) semblent dicter le repositionnement des sites de production industrielle, il est réconfortant de constater que les critères locaux ou même régionaux restent au cœur des préoccupations du processus décisionnel, puisque, si nous ne pouvons que subir les contrecoups des perturbations économiques internationales, on peut agir localement pour assurer la résilience de notre milieu.

ANNEXE

Analyse Area Development